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EN MÉMOIRE DE MON PÈRE, DE REQUIEM

  Cette histoire ne parle pas d'exploits que j'aurais pu réaliser en pourfendant des hordes de démons assoiffés de sang ou en sauvant de jolies demoiselles des griffes de dragons tyraniques. Elle raconte ce que je suis. Ou plutôt, elle raconte les événements qui ont façonné la personne que je suis aujourd'hui. C'est l'histoire de mon père, de son amour pour ma mère et du Dieu qu'il a réussi à émouvoir.

  De son vivant, ma mère était connue dans une bonne partie d'Althéa. Sa voix était célèbre dans un nombre incalculable de royaumes, duchés, empires ou républiques. On l'acclamait à tout rompre, on venait de loin pour avoir la chance d'entendre sa voix d'ange résonner dans les cours. Elle faisait la joie de l'aristocratie, chacun tentant de conserver son talent chez lui le plus longtemps possible pour rehausser son prestige.
De son vivant, mon père était un musicien célèbre. Mais à l'époque où il a rencontré ma mère, il n'était qu'un jeune troubadour talentueux qui cherchait à se faire un nom. Un soir de concert à la cour d'un grand roi, l'accompagnateur régulier de ma mère dut se décommander pour cause de maladie. Mon père pris sa place au clavecin à la dernière minute, faute de mieux. Je n'ai jamais su si cette rencontre fortuite était simplement le résultat d'un merveilleux hasard ou si il faut y voir l'intervention d'une main divine mais, à partir de ce soir-là, ils furent inséparables. Mon père et ma mère se marièrent l'été suivant.

  Mes parents passèrent sept heureuses années sur les routes, du nord au sud, d'est en ouest, partageant leur talent avec ceux qui voulaient bien venir les écouter. En sept années, ils visitèrent de nombreuses nations, dont les cultures distinctives venaient enrichir leur art. Les musiques et les chants qu'ils composèrent à cette époque sont devenus de véritables succès populaires, de ces chansons qu'on entend dans les auberges sans connaître l'auteur. Mais après autant d'années à voyager, le besoin de stabilité s'est fait sentir. Mes parents décidèrent de prendre un long repos, à l'écart de la scène pour un bon moment. Ils s'occupaient encore à composer des chants, hymnes ou contes pour ceux qui le demandaient, mais plus jamais ils ne prirent la route. Un an plus tard, je naissais. C'était il y a vingt-sept ans.

  Je n'ai certainement pas à me plaindre du mode de vie dans lequel j'ai été élevé. Aisé sans être luxueux, tous mes besoins d'enfant étaient satisfaits sans que je sois pour autant coupé du monde extérieur par une légion de serviteurs. J'avais l'affection de mes parents, de bons amis, un milieu urbain stimulant où je pouvais exercer les talents artistiques dont j'avais hérités. Je menais une vie relativement sans histoire jusqu'à mes 15 ans. Cette année-là, ma mère succomba à une épidémie qui courait sur la région. La maladie fut courte et mon père et moi veillions au chevet de ma mère jour et nuit. Nul besoin de vous dire, son départ a été un grand choc pour moi. Pas encore tout à fait un homme, c'était la première fois que la mort frappait si proche de moi. Je me souviens de longues nuits à pleurer la perte de ma mère. Mais le choc pour mon père avait été encore plus grand et il ne devait jamais s'en remettre.
Je compris plus tard que sa relation avec ma mère avait pour lui été comme un rêve merveilleux. Sa mort soudaine l'avait forcé à s'éveiller. Peu de temps après, il fut pris d'une obsession qui, à la fin, ruina la vie qui restait en lui. Il devint obsédé par le besoin de faire savoir au monde combien magnifique ma mère était. Non pas comme l'idole de l'aristocratie ou du peuple de tous les continents, mais comme la femme talentueuse et sensible, l'épouse affectueuse et la mère attentionnée. Et pour ce faire, il prit la seule voie qu'il connaissait. Il décida d'écrire une musique qui serait la quintessence de l'amour qu'il portait à ma mère. Pendant presque un an il travailla sans cesse, jour et nuit. Il refusait de parler à personne sauf à moi. Il ne mangeait que pour subsister. Je le voyais dépérir sous mes yeux et je ne pouvais rien faire pour soulager son tourment.

  Un an de travail n'avait rien donné. Mon père ne réussissait pas à mettre sur papier ses sentiments de façon satisfaisante. Il sombrait de plus en plus dans la dépression, frustré par sa propre incapacité. "Mon fils, me disait-il, pourquoi notre maître Iago nous a-t-il fait don de ces talents si je ne suis même pas capable d'exprimer ce que je ressens pour une personne si chère à mes yeux? Est-ce que l'art n'est pas le fruit des sentiments? " Je ne pouvais répondre à ses questions ni apaiser le tourment de mon père. La seule chose que je pouvais faire était de le supporter.

  Un certain soir, après avoir remarqué de la lumière dans la salle de travail de mon père, je décidai de lui apporter un repas léger dans l'espoir qu'il accepte de manger un peu. Je m'arrêtai sur le pas de la porte, surpris. J'entendais une conversation venant de l'intérieur. La chose me paraissait d'autant plus étrange que mon père n'avait parlé à personne depuis des mois. "Je ne comprends pas! Toute ma vie j'ai composé des musiques avec les dons que vous m'avez donné ! Pourquoi suis-je incapable de compléter celle-ci ?". Je m'approchai encore plus de l'embrasure de la porte, afin d'apercevoir l'interlocuteur de mon père.

   Jamais je n'oublierai cette vision. Debout au milieu de la pièce, un homme âgé se tenait droit. Il était vêtu d'une robe de clerc rouge d'où pendait un nombre incalculable de sacs, pochettes, bourses et contenants de toutes sortes. Dans ses mains, un volumineux livre de comptabilité et une longue plume d'oie. L'homme lui-même était chauve, avec des sourcils de hibou et une courte barbe blanche. Par aucun critère de beauté cet homme n'aurait été jugé comme beau, mais je ne pouvais m'empêcher de penser que c'était l'être le plus magnifique que j'avais jamais contemplé. Il émanait de lui une grande sévérité, mais ses yeux, lorsqu'il regardait mon père, étaient pleins de compassion. L'homme parla: "Mon fils, les dons que je t'ai donnés, tu en fais ce que tu veux. Je ne suis pas celui qui te donnera la réponse. Mais je peux t'aider à la trouver. Mais avant tout, faisons entrer ton fils, car cela le concerne également.". Maître Iago, le dieu que ma famille honorait depuis si longtemps me fit signe d'entrer. Tremblant de tout mon corps, je m'exécutai.

  "Mon petit, le Dieu me dit alors, laisse-moi te remercier d'avoir soutenu ton père durant ces longs mois. Sans toi, il serait déjà mort.". Mon père me lança un regard rempli d'amour et de fierté. Maître Iago se tourna de nouveau vers lui. "Mon fils, je peux t'aider à trouver le remède à ta douleur en toi-même. Par contre, cette réalisation brûlera sans doute le reste de ton existence.". Je restai figé. Je trouvais le prix cher à payer, mais je savais également que mon père ne pourrait vraiment vivre sans cette réponse. "Allez-y, mon maître, j'ai besoin de savoir et mon fils saura se débrouiller sans moi.". Maître Iago ne dit rien de plus et posa sa main sur le front de mon père. Cela ne dura qu'un seconde, mais elle me parut une éternité. Quand il retira sa main, mon père fondit en sanglots. "Je comprends, je comprends enfin.", répétait-il. Maître Iago se tourna vers moi. "Ton père pourra maintenant terminer l'hommage à ta chère mère, mais je crains qu'il ne s'éteigne juste après. Reste avec lui jusqu'à la fin.". J'acquiesçai sans mot dire. "Et une dernière chose avant que je ne parte. Tes parents ont été deux des meilleurs disciples qu'il m'ait été donné d'avoir. Sois sûr de toujours suivre leurs enseignements. Adieu, mon fils.". Sur ce, il disparut.

  Il fallut trois mois à mon père pour terminer son oeuvre. Il y travailla jour et nuit encore, se souciant encore moins de sa santé. Au bout de ces trois mois, il me fit monter dans la salle de musique. Il avait enfin terminé. Les yeux pleins de larmes, il me donna le manuscrit final et me demanda de jouer pour lui sa composition. Je m'installai au clavecin et jouai la plus belle musique qu'il m'ait jamais été donné d'entendre. Mon père mourut dans mes bras cette nuit-là, un doux sourire sur son visage. Il fut mis en terre aux côtés de ma mère dans la chapelle familiale. Au dessus de leurs tombes est maintenant accroché un grand portrait de mes parents que j'ai réalisé moi-même. Le dernier hommage que je pouvais leur offrir. Peu de temps après, je laissai la maison aux bons soins des serviteurs et je partis découvrir le monde, comme mes parents avant moi. L'œuvre de mon père s'appelle "Requiem". C'est en son honneur que j'ai choisi mon nom de voyage. Je n'ai jamais vraiment su ce que Maître Iago avait fait voir à mon père ce soir-là. Peut-être un jour saurais-je par moi-même ou mon maître partagera avec moi ce secret si merveilleux.
Source :
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Dernière mise à jour 06/02/02